Un monde triangulaire

UN MONDE TRIANGULAIRE

Au 16e siècle, les navigateurs basques retrouvent les routes maritimes empruntées par les Vikings cinq cents ans auparavant vers les riches zones de pêche du Nord-Ouest de l’Atlantique.
Ils découvrent un monde d’abondance, en équilibre. La diminution des populations de poissons dans les eaux près de chez eux incite leur exploration.
Ils découvrent les Grands Bancs, au sud-est de Terre-Neuve. Il s’agit de la plus importante zone halieutique au monde.
La morue salée séchée s’impose comme une denrée essentielle.

Les Portugais et les Espagnols découvrent aussi de nouvelles routes plus lucratives : en partant d’Europe, la manière la plus efficace et profitable de traverser l’océan consiste à suivre les courants et les vents dominants; on se dirige vers le sud et ensuite vers l’est pour longer la côte africaine.
Arrivé au large du Sénégal, on peut alors mettre le cap vers l’ouest et pratiquement se laisser porter jusqu’aux Amériques.
Idéalement, pour le retour, on profite des vents d’ouest, qui relient presque directement l’Amérique du Nord à l’Europe.

CES PARCOURS SONT INDISSOCIABLES DU COMMERCE DES HUMAINS ...L’EXPLOITATION DES HUMAINS ET DE LA NATURE
Porté par l’industrialisation, le système capitaliste prouve rapidement sa redoutable efficacité. Il se base sur l’exploitation brutale des êtres humains et de toutes autres formes de vie, et ce, à la quasi-grandeur de la planète.
La coupe massive de l’arbre « mahogany », pratiquée par les esclaves dans les tropiques, en est un exemple éloquent. Le précieux acajou qu’on en tire, disparaît presque entièrement en moins de 50 ans.
Déjà, les pêcheurs basques avaient exercé une pression abusive sur la nature par la chasse intensive de la baleine franche. Celle-ci constituait une précieuse source d’huile, tout comme la baleine boréale, encore plus payante. Mais à la fin du 16e siècle, ils avaient tellement tué de baleines que ces espèces étaient pratiquement éteintes.
Dans le golfe, le grand pingouin devient alors une excellente source d’huile. Cet oiseau ne vole pas. Il est donc une proie facile. En plus, il fournissait des plumes pour l’industrie et les pêcheurs pouvaient se servir de sa chair comme boëtte. Rapidement, la population de grands pingouins diminue dangereusement. Quand les autorités se rendent compte que l’espèce est menacée, il est déjà trop tard. Le dernier grand pingouin connu est tué en 1844. On répète la même erreur avec les morses, les ours blancs, la morue. Bien que les gens de Paspébiac ne soient pas des esclaves, la vie dure que leur impose ce capitalisme industriel fait d’eux des prolétaires asservis. Une exploitation qui comportera aussi des conséquences désastreuses sur l’environnement.
POURQUOI TANT DE RÉSISTANCE À PROFITER DES LEÇONS DE L’HISTOIRE ?
LES AMÉRIQUES (soit l’Amérique du sud, les Antilles, l’Amérique centrale et ce qui étaient alors les États confédérés). Ces régions offrent de l’or et de l’argent, du sucre, du tabac, du café, du bois, de l’indigo et aussi du coton, dont les industriels européens deviennent de plus en plus dépendants. Mais il faut une main-d’œuvre abondante pour exploiter toutes ces richesses. Afin d’assouvir leurs ambitions de vol à grande échelle, les conquérants du Nouveau Monde massacrent et asservissent les peuples aborigènes et procèdent à la traite de millions de Noirs.
POUR NOURRIR CES ESCLAVES, IL FAUT TROUVER UNE SOURCE DE NOURRITURE ABONDANTE ET BON MARCHÉ.
C’est là que la morue salée et séchée de moindre qualité entre dans l’équation.

LES MÉTHODISTES
ET L’ESCLAVAGE

Il importe de noter que la religion semble avoir joué un rôle déterminant dans le rejet relativement hâtif de l’esclavage par les Anglo-Normands. Les habitants des Îles de la Manche sont principalement de confession anglicane, qui est la religion officielle de l’Angleterre. Celle-ci soutient sans sourciller les politiques économiques de l’Empire, incluant l’esclavage.

Mais la montée du méthodisme, un courant non conformiste au sein de l’Église anglicane, aurait eu une grande influence sur les Anglo-Normands. On dit que ce sont des pêcheurs revenant de leurs expéditions estivales à Terre-Neuve qui auraient introduit ce courant dans l’archipel. Les méthodistes prônent des valeurs sociales de justice et s’opposent à la prédestination des calvinistes.

Les pasteurs méthodistes s’engagent beaucoup auprès des marginaux. Ils prêchent leurs principes à la classe ouvrière émergente et aux prisonniers. Les esclaves y trouvent une source de réconfort. Dès 1743, John Wesley, un des fondateurs du courant méthodiste, interdit à ses adeptes de s’engager dans le commerce des corps et des âmes d’hommes, de femmes et d’enfants dans le but d’en faire des esclaves. Les Anglo-Normands sont donc sensibilisés aux injustices de leur époque. Ils remettent donc en question l’économie de l’Empire reposant sur l’esclavage beaucoup plus tôt que leurs confrères anglicans. Dans les colonies américaines, comme les besoins de main-d’œuvre reposent fortement sur l’esclavage, les méthodistes américains y apportent leur soutien.

L’EMPIRE BRITANNIQUE
BÂTI SUR L’ESCLAVAGE

Au cours du 17e siècle, l’asservissement des populations indigènes et le rapt d’hommes, femmes et enfants africains créent une richesse sans précédent pour les élites européennes, particulièrement au Portugal, en Espagne, aux Pays-Bas, en France et en Angleterre. La domination éventuelle de l’Empire britannique repose sur sa force maritime et sur le contrôle militaire qu’elle exerce rapidement sur l’industrie de l’esclavage. La croissance exponentielle de la traite des Noirs assure les fondements du capitalisme.
Dès les débuts de la Nouvelle-France et jusqu’en 1833 sous le régime colonial britannique, les autorités en place demandent l’importation d’esclaves. Mais le contexte géographique et climatique fait que peu d’esclaves arrivent au Nord, la plupart ayant déjà été vendus avant l’arrivée des navires en Nouvelle-France. Et les Européens sont convaincus que les Africains ne peuvent s’acclimater aux rigueurs de notre climat. Les colonies de l’hémisphère nord doivent donc continuer à s’approvisionner en main-d’œuvre bon marché selon le système de servitude britannique.
MALGRÉ LES GRANDS AVANTAGES FINANCIERS qu’apporte le commerce triangulaire, les marchands anglo-normands ne pratiquent l’esclavage actif que pendant la première moitié du 18e siècle avec une douzaine de navires. Les bateaux provenant du Sud qui passent par Paspébiac sont chargés de marchandises produites par les esclaves dans des conditions extrêmement brutales : sucre, rhum, café, acajou, coton et tabac. Sous le régime français, les plus importants propriétaires d’esclaves, autochtones et africains, sont les évêques catholiques et les communautés religieuses.
Quant à la morue de Paspébiac, celle de qualité inférieure sert de nourriture de base aux esclaves des Caraïbes et de colonies comme le Brésil. C’est la réalité de l’époque. DANS LES AMÉRIQUES, LES ENJEUX DE LA GUERRE DE SEPT ANS, le premier conflit qu’on peut qualifier de « mondial », portent autant sur le contrôle du marché des esclaves que sur celui des abondantes ressources naturelles des colonies et des mers avoisinantes.
L’esclavage est au cœur des empires coloniaux.
En 1833, quand l’esclavage a été aboli dans l’Empire britannique, la Grande-Bretagne a consacré 40% de son budget national pour compenser les propriétaires d’esclaves de l’Empire. « La somme d’argent emprunté pour répondre à l’Acte d’abolition de l’esclavage était tellement importante qu’elle n’a été remboursée qu'en 2015. Ceci implique que des citoyens britanniques d’aujourd’hui ont contribué à payer la fin de l’esclavage. »
Gazouillis officiel du Trésor britannique le 9 février 2018.
ÉVIDEMMENT, PAS UN SOUS N’A ÉTÉ ALLOUÉ AUX ESCLAVES.