Comment expliquer la singularité de la « culture paspéya » ? Se trouve-t-elle dans la diversité de leurs racines ?
Certes, l’origine de leurs noms de famille révèle un joyeux
brassage cosmopolite:
Delarosebil = Basque;
Horth = Allemand;
Larocque = Canadien-français;
Leblanc = Acadien;
Legros = Anglo-Normand;
O’Connell = Irlandais;
Roussy = Italien.
À ces provenances multiples, il faut ajouter le métissage avec les premiers résidents de l’endroit, les Mi’gmaqs.
De plus, outre les nombreux voiliers d’un peu partout qui accostent chez eux, plusieurs Paspéyas sillonnent eux-mêmes l’Atlantique à bord des navires appartenant aux Robin et aux Le Boutillier.
Bref, les Paspéyas se distinguent par leur ouverture sur le monde.
Tous travailleurs de la mer, peu importe leurs ascendances, ils doivent se serrer les coudes.
COMME POUR LES PRÉJUGÉS VÉHICULÉS À L’ÉGARD DES JUIFS ET DES ÉCOSSAIS, CEUX DONT ON AFFUBLE LES JERSIAIS SONT PÉTRIS DE FAUSSETÉS.
Les commis et apprentis anglo-normands sur le Site mènent aussi des vies de servitude.
La vie dans les îles Anglo-Normandes au 18e siècle n’a rien de facile ! L’approvisionnement en nourriture présente souvent des ratés.
De plus, la Grande-Bretagne adopte des lois très sévères pour contrer les problèmes d’itinérance et de pauvreté.
Ces lois rendent pratiquement illégal le statut de sans-emploi. Jersey et Guernesey appliquent des lois similaires.
Venant d’un milieu rude, les contrats de service qui lient ces jeunes hommes à leurs maitres leur imposent de travailler de longues heures, sous contrôle constant et avec très peu de liberté. Même les commis additionnent, vérifient et transcrivent des chiffres du matin au soir. Ils ne sont que de simples roues dans l’engrenage d’un immense système.
La principale différence entre les Jersiais et les Paspéyas réside dans la position prise par leur église respective au sujet de l’éducation. Alors que l’Église catholique privilégie des paroissiens analphabètes, les églises protestantes mettent l’accent sur la capacité de chaque chrétien à lire et interpréter la Bible.
Les jeunes anglo-normands, souvent trilingues, détiennent donc un net avantage sur les populations locales.
Comme l’Église catholique s’oppose farouchement aux idées libérales qui découlent de la Révolution française, elle craint comme la peste le mouvement des Patriotes.
Après les rébellions de 1837 et 1838, le clergé conclut une entente tacite avec les autorités britanniques. L’Église accepte de ne pas se mêler d’économie, à condition de pouvoir régner en santé et en éducation.
L’EMPRISE SOCIALE DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE DEVIENT ÉTOUFFANTE.
Les valeurs ultramontaines prennent de plus en plus de place. Avec les conséquences que nous connaissons.
La « grande noirceur » caractérise la société québécoise jusqu’à LA RÉVOLUTION TRANQUILLE DES ANNÉES 1960.
16 novembre 1885 : Louis Riel, le leader métis de la rébellion du Nord-Ouest, est pendu.
11 janvier
La Jersey Banking Company fait faillite, précipitée par les malversations de son directeur, Philip Gosset.
12 janvier
La nouvelle traverse rapidement l’océan grâce au télégraphe. Les magasins Robin et Le Boutillier ferment aussitôt.
Dans la population, essentiellement composée de pêcheurs-clients, entièrement dépendants des compagnies, LA FAIM NE TARDE PAS À SE FAIRE SENTIR.
3 février
Le gouvernement fédéral s’engage à accorder 2 000 $ aux Paspéyas à condition que le provincial en fasse autant. Mais 4 000 $ pour permettre à une communauté tout entière de survivre, ça ne suffit pas. Sans compter que ces sommes modiques n’arrivent pas rapidement en Gaspésie.
6 février
Le curé Thomas Smith de St-Godfroi écrit à Monseigneur Langevin :
« J’entrevois la perspective de quelques paroissiens mourant de faim avant mai prochain ».
Il dénonce qu’un comité central chapeaute des comités locaux. Pour lui, chaque paroisse devrait pouvoir s’adresser directement au gouvernement.
Un crédit global de 4 000 $ est avancé aux nécessiteux pour des denrées. Ce montant devra être remboursé au printemps. Ce sont les marchands qui en assurent la distribution !
Le même jour, on rapporte deux vols par effraction : un à Paspébiac, l’autre à New Carlisle.
8 février
On apprend que le crédit accordé annuellement aux pêcheurs par les compagnies s’élève à environ 100 000 $. Les 4 000 $ offerts par l’État ne peuvent compenser. D’ailleurs, cet argent bénéficie plus aux marchands qu’aux pêcheurs.
9 février
Le curé Larrivée de Paspébiac informe son évêque que la région est au bord de la catastrophe : « Je suis habitué à voir pleurer des femmes et des enfants,
mais des hommes… »
Beaucoup ne mangent qu’un repas quotidien de patates avec du sel.
Les semences y passent.
10 février
Le docteur Wakeham constate la misère des gens : au moins 6 000 personnes souffrent de la faim.
11 février
On estime qu’il faudrait au moins 30 000 $ pour se rendre au mois de mai. C’est entre Percé et Bonaventure que la misère frappe le plus fort, là où les marchands jersiais dominent. Ailleurs en Gaspésie, d’autres compagnies les concurrencent.
13 février
Les agents de la compagnie Robin reçoivent l’ordre de faire crédit aux pêcheurs des Maritimes, mais pas à ceux de la Gaspésie.
C’EST LA GOUTTE QUI FAIT DÉBORDER LE VASE.
Les gens ne peuvent plus se procurer à manger. Ils épuisent leurs réserves. Vont-ils se laisser mourir de faim alors que les compagnies disposent de farine en abondance ?
16 février
La foule se déchaine.
200 affamés défoncent les entrepôts Robin et Le Boutillier.
Les gens prennent tout ce qu’ils peuvent.
Les magasins sont saccagés.
Selon le curé Larrivée, les émeutiers sont des catholiques. Il mentionne d’ailleurs le bedeau, trois chantres et un marguiller.
D’autres sources parlent de Métis. Les ouvriers de la mer de Paspébiac sont à peu près tous des Canadiens-français catholiques.